« Le paysage est d’abord un contact intime avec le temps, avec les centaines et les milliers d’années qu’il a fallu pour façonner l’horizon que la lumière continue de recréer chaque jour. »
(citation tirée du livre d’Hélène Dorion Pas même le bruit d’un fleuve)
J’ai commencé mon collage visuel à partir du concept de dialogue. J’ai feuilleté des magazines à la recherche d’images de personnes qui discutent ou qui semblent se raconter quelque chose et puis, rapidement, j’ai eu envie de développer mes idées plutôt sur ma parole intérieure, mes pensées, mon dialogue intime. Dans le cours sur la psychanalyse, Gilles disait que, lorsqu’on pense, on a en quelque sorte une discussion avec nous-même, comme une deuxième voix dans notre tête. J’ai été étonnée par cette affirmation, car je n’ai, à ma connaissance, aucune voix dans ma tête.
Peut-être est-ce moi qui ne laisse aucune place aux autres “moi”. On me dit en effet souvent que je n’ai pas de filtre, que je parle trop rapidement, sans réfléchir à l’impact que peut avoir mon discours sur mon rapport au monde et sur la perception des gens.
Dans ma tête, je vois des peintures ou des photos pleines de couleurs. J’y vois des souvenirs d’évènements, comme s’ils étaient des rêves. Des sensations et des odeurs me rappellent mes expériences les plus douloureuses, trop souvent… J’ai l’impression d’avoir été “formattée” avec des erreurs de programmation et de vivre avec un système d’exploitation désuet qui a besoin de mises à jour. Le câblage de mon cerveau est mal structuré et mes pensées sont cloîtrées dans une vieille grange, semblable à celle où j’ai grandi. J’ai choisi les images en récupérant des revues de danse et de photographies. J’ai découpé ce qui m’évoquait des choses que j’aime et d’autres qui me font penser aux histoires de mon passé, à mes blessures profondes. J’en ai collé quelques-unes sur le grand carton blanc et je me suis rendu compte que le silence qui m’habite fait beaucoup de bruit, malgré tout.
Selon Jung, nous accéderions à ce dialogue intime en nous laissant discuter librement avec nous-même sans jugement. « Tout l’art de ce dialogue intime consiste à laisser parler, à laisser accéder à la « verbalisation » le partenaire invisible, à mettre en quelque sorte à sa disposition momentanément les mécanismes de l’expression, sans nous laisser accabler par le dégoût que l’on ressent naturellement vis-à-vis de soi-même au cours de cette procédure qui semble un jeu d’une absurdité sans limite, et sans non plus succomber aux doutes qui nous assaillent à propos de l’“authenticité” des paroles de l’interlocuteur intérieur. » (Jung 1973)
Je me questionne énormément sur l’authenticité de mes paroles et de celles des gens qui m’entourent. Pour faire naître les idées, pour nourrir ma créativité et pour laisser “verbaliser” ce partenaire invisible, j’ai écrit tout ce qui me venait à l’esprit par rapport au concept de dialogue intime. J’ai joué avec ces mots, je les ai transcrits sur des papiers colorés, je les ai découpés, réorganisés, j’en ai même ajouté quelques-uns pour compléter et peaufiner ma réflexion.
J’ai continué pendant plusieurs jours ma recherche sur le dialogue intérieur. Je ressentais alors le besoin de comprendre comment les autres le vivaient. Et comme l’âme parle intérieurement sa pensée à tout instant et que lire est traduire ces paroles intérieures (Egger 1981), j’ai lu à haute voix pour vous le court texte issu de ma réflexion. Puis j’en ai fait un collage sonore, j’ai joué avec ces mots, je les ai répétés, déplacés et modifiés comme je l’ai fait au départ avec l’écriture, j’y ai ajouté de la musique pour soutenir ma proposition.
Mon dialogue
Mon silence intérieur
Mes pensées limitantes
Mon passé
Mes secrets
Leurs regards
Leurs mains sur mon corps d’enfant
Mon inconscience
Mon insouciance
Ma parole et mes actes
Leur emprise
Mes envies
Mes dégoûts
Ma vulnérabilité
Ce que j’aime
Ceux que j’aime encore pourtant
Ce que j’aime
La nature
La musique
Mon travail
La danse
Les gens qui m’entourent
L’endroit où je m’endors
Ma dépendance
Je sais que certains mots sont difficiles à entendre et que ces images peuvent choquer, la réalité surpasse parfois ce que l’esprit est capable d’entrevoir. Je suis retourné sur mon grand carton blanc pour terminer l’assemblage des images, j’en ai collé certaines que j’ai arrachées ensuite ou que j’ai caché sous les autres, comme un masque que l’on porte en société.
Pendant mes recherches, j’ai trouvé une image qui m’a beaucoup parlé, une publicité du Théâtre du Nouveau Monde en 1987-1988. Elle ne se retrouve pas dans mon collage, mais je vous la mets ici car elle est exactement ce que j’ai en tête quand je pense à mon dialogue intérieur. J’ai quelque part en moi une femme qui veut s’exprimer, mais qui n’a pas de bouche pour parler.
D’un côté de mon collage sont les images de mon passé. Le haut de cette section illustre le rationnel, ainsi que l’intuition, le phare qui me guide. Il y a aussi les gens qui m’observent sans regarder vers moi, ceux qui ne savent rien de mes secrets, ceux qui ne veulent pas voir et ceux qui préfèrent ignorer ce qu’ils savent.
L’autre côté exprime les envies de réorganisation, de cheminement et de changement positifs. Certains s’en prennent la tête, mais il s’agit d’un passage nécessaire pour continuer à avancer.
Puis, comme mon carton s’est rempli rapidement et qu’inévitablement j’avais encore des choses à dire et à vous faire voir, j’ai collé sur des cartons recto-verso d’autres images pour vous permettre de vous exprimer par-dessus mon dialogue intérieur, mais aussi pour cacher certaines sections que j’ai moins envie d’exposer à tous et qui pourront être découvertes par ceux qui se prêteront au jeu.
Je terminerai ce travail avec une citation de Carl Gustav Jung qui décrit bien l’exercice auquel je me suis prêté tout au long de la création de ce collage.
« Nous nous rencontrons maintes et maintes fois sous mille déguisements sur les chemins de la vie.» C.G Jung
Je marchais dans mon quartier de Saint-Eustache, là où la rivière du Chicot se jette dans celle des Mille-Iles.
De mon logement je peux voir les vestiges du moulin de la dalle, maintenant converti en habitation.
En regardant la digue et le terrain longeant la rivière, cela m’a frappé…
Je n’entendrai jamais ce moulin…
Dans son livre Le paysage sonore, Raymond Murray Schaffer propose d’écouter tous les sons, les bruits qui nous entourent comme s’ils étaient de la musique en soi. J’ai toujours aimé admirer un paysage, qui se définit au sens propre comme étant la “vue d’ensemble, qu’offre la nature, d’une étendue de pays, d’une région” (CNRTL). Le paysage sonore est constitué de tous les sons audibles présents dans un environnement donné. Ceux-ci peuvent inclure les bruits de la nature, comme les chants d’oiseaux, le bruit de l’eau courante ou du vent, mais également les sons urbains, comme le bruit de la circulation, les voix humaines et les sons émis par des machines, comme c’est le cas pour les bruits du moulin que j’utiliserai comme source d’inspiration.
Je m’intéresse principalement à notre présence dans ce paysage et à son effet sur notre rapport au monde. Comme Hubert Godard défini dans son livre Une respiration:
“La qualité de présence au paysage peut littéralement soulever notre tête. Elle s’est positionnée au cours de l’évolution de manière à capter avec efficience les flux sensoriels dont notre survie dépendait. Par exemple, un lapin qui hume l’espace alentour à sa tête suspendue dans la position qui saisit le mieux les effluves, les sons, les formes et les mouvements du milieu. Il y a donc une alliance entre notre équilibre et notre mode de réception des fluctuations du paysage. Notre attitude posturale, comme potentiel d’action, et le tissage de nos émois dans l’usage propre de notre sensorialité construisent ce paysage.” (tiré du livre Une respiration, Hubert Godard)
Je me suis donné le défi de faire revivre le paysage sonore de ce moulin par ma musique…
J’ai lu son livre Make ink: A Forager’s guide to natural inkmaking
Il m’a inspiré à cueillir et à faire de même.
Glands, noix et argile recueillis lors d’une promenade en forêt à Boisbriand. Ils serviront à fabriquer les pigments qui seront utilisés pour agrémenter mes collages photos et vidéos.
Petit laboratoire dans la cuisine, l’endroit où je transforme mes cueillettes et où je fais les tests de couleurs.
Tests d’encres et de pigments naturels à partir de noix, de baies de sureau, d’argile et de rouille.